jeudi 6 septembre 2007

Le Lecteur de Sherlock Holmes. Première Partie. Chapitre VIII. Holmes enquête. Suite.

La vie et l'œuvre de Wordsworth correspondent au descriptif précité.
Critère majeur, ses écrits sont ici, à portée de la main : présents dans cette enceinte, je puis à chaque instant les consulter.


Vérifions l'hypothèse.

Je dois replacer l'homme dans le cadre émotif qui fut le sien, cerner les contours de son tempérament, évaluer l'angle de vue qui correspondait à l'intensité de sa perception sensible. Ce relevé de cartographie nerveuse est indispensable car, inventorier les faits et gestes de Wordsworth, établir la géographie physique de ses déplacements en France, ne suffit pas pour partager ce qu'il a réellement vu, perçu, ressenti.

..."je ne semble pas
Manquer de ce premier des dons, l'âme vitale,
Ni de ces vérités générales, qui sont
Des Éléments en quelque sorte, des Agents
Auxiliaires, aidant notre esprit vivant;
Ni ne suis démuni des choses du dehors,
Formes, images, ni de vingt autres secours
Modestes, bien qu'acquis peut-être avec labeur;" *

Lors de ses allées et venues dans l'Hexagone, en 1790, des fascinations se sont exercées sur le jeune homme. Pour en apprécier la valeur, il faut connaître la plus forte émotion qui domina le poète de 20 ans. C'est elle, la sensible Majeur, qui a perçue, enregistrée les percepts, investie et organisée la mémoire, pré-fixée les souvenirs. Les raisonnements ultérieurs qui se sont construits et solidifiés dans l'œuvre du littérateur se sont rangés sous cette puissance.

"...Les yeux de ma chair,
Toujours, même au milieu de mes plus forts émois,
S'efforcent de saisir les lignes des contrastes
Qui se cachent partout dans les formes visibles,
Proches ou non, menues ou immenses; mes yeux,
Depuis l'arbre, la pierre, une feuille séchée,
Jusqu'à la mer immense et jusqu'aux cieux d'azur
Pailletés de milliers d'étoiles fraternelles,
Ne trouvent point d'espace où dorme leur pouvoir;
A mon âme ils parlent de logique infinie,
Et, par une activité toujours active,
Lient mes sentiments comme avec une chaîne." *

La vue, le sens de la vision, affûté sur le fusil de l'esprit le plus hautement logique...

D'emblée, il est bon de savoir que nous abordons une modalité d'être sans comparaison avec la nervosité médiane. Accepter et comprendre que nous entrons dans l'hypersensibilité d'un visionnaire. Qui plus est: la grâce d'ordonner et de clarifier le flux puissant de ses perceptions lui aurait été accordée.

A-t-il éprouvé une sorte de transe ? En 1790, il a entre 20 et 21 ans. Son enfance lui a appris qu'il pouvait devenir un authentique poète. Une éminente inspiration, plus impérieuse que toutes celles qu'il a jamais perçu dans sa campagne enchanteresse, le presse de rejoindre la France dans la tourmente. Cette intimation assaille en diable l'intimité de sa jeune pensée créatrice. La réussite de sa vie future, d'écrivain, d'intellectuel, dépend de la réponse qu'il donnera à cette sollicitation. Il est bien jeune. Est-ce la jeunesse qui le rend capable d'obéir à l'injonction ?

...Je restai seul
A chercher l'univers visible, sans savoir
Pourquoi. Mes sentiments n'avaient plus de soutien,
Mais leur structure subsistait, comme portée
Par ce qui l'animait ! Tout ce que je voyais
M'étais cher, et donc mon esprit était ouvert
A des messages plus subtiles, de plus exactes
Et étroites communions." *

Dans les potentialités de son cerveau, la possibilité d'honorer cet appel existe. 1790. La France est au plus mal. Il doit se rendre au chevet du royaume agonisant. Pour y faire quoi, exactement ? Il l'ignore. L'esprit lui enjoint de traverser la Manche, d'itinérer sur les routes qui offrent un objet à son désir, d'aller en la capitale ainsi qu'en toute région où les chevaux pourront le conduire. Il a 20 ans. L'inconnu ouvre sa grand porte. C'est décidé, il en franchira le seuil. Il mêlera son souffle à celui des français.

Dans le processus de la grande enquête, qui vise à lever le voile pesant sur ma véritable identité, sur le secret de l'entité qui pense en moi et, les raisons profondes de mon exil en France, claquemuré dans cette maison, les mannes de mon cher compatriote, accepteront-elles de me prêter la sensibilité, les trouvailles, les tournures et le vocabulaire, qui furent les siens ? Entre sa pensée et la mienne, existe une passerelle, légère, aérienne. Elle n'a jamais été décelée, ni même subodorée, encore moins empruntée. Nul ne sait si elle est praticable. Couragement, il n'est que de la traverser, d'un bord à l'autre, sans s'arrêter au milieu; l'abîme au dessus duquel ses longues lianes se balancent pourrait happer le voyageur imprudent.

Quand bien même, son style d'expression serait éloigné du mien, lui qui su être si impeccablement littéraire, je dois apprendre de Wordsworth ce qu'il est venu faire en France. Nous avons en commun ce pays, l'esprit logique et le pointu du regard. Je gage que j'aurai, à peu près, la même chose à faire ici, que ce que déjà il y a fait. Je parie qu'une contribution spéciale, venue d'Angleterre, s'avère régulièrement nécessaire, au salut de la France. Si tel est le cas, j'en serai.

* Les extraits du Prélude de William Wordsworth sont présentés dans la traduction de Louis Cazamian. Aubier, édition Montaigne. Paris, septembre 1949.

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