vendredi 24 août 2007

Le Lecteur de Sherlock Holmes. Première Partie. Chapitre VII. Holmes enquête.

La réflexion, orientée et précise, qui ressort du simple regard qu'Holmes accorde à la pièce, fascine Watson.

Témoin d'un phénomène resté jusqu'alors secret, l'occasion serait-elle donnée de saisir sur le vif, la fameuse méthode du détective ? Le moindre tressaillement de l'époustouflante machine à penser, qu'il a l'honneur de voir fonctionner, devant lui, est scrupuleusement noté. L'écriture n'est plus vraiment utile. Les échanges se faisant d'esprit à esprit, mais... Watson a cru si longtemps qu'il était écrivain que c'est une manie, il doit tracer les mots, les phrases. Il ne peut s'empêcher de gratter un invisible papier.

Mon cher enfant,
conformément à son habitude, Holmes scrute le moindre détail. Il accorde la plus grande attention à ce qui lui tombe sous les yeux: mobilier, objet, tableaux, livre... L'aspect, la couleur, la fonction, la représentation, la valeur, le titre, le mot, le nom, chaque chose disposée dans la pièce, semble, pour l'enquêteur, receler une énigme. Il aurait compétence à la dévoiler.
Holmes possède une faculté d'observation méthodiquement rationalisée au plus haut degré des capacités optiques. Elle en devient presque surnaturelle. Sa vue balaye rapidement la surface des choses. Je constate qu'elle ne s'immobilise pas en vol géo-stationnaire, au dessus du plan observé, afin de s'imprégner du contour de ce qui s'expose, à la façon dont j'ai moi-même besoin d'appesantir, d'attarder le regard, de longtemps scruter. Dirigée par son esprit, sa vue enquête.

Mon ami procède comme si le visible, depuis une source précise émettait la particule, qui permettrait de "le bien voir". Sur l'aplat de l'évidence, les yeux auraient le pouvoir de détecter l'accroche, la petite anfractuosité, d'où sort cette infinitésimale. Situé quelque part sur la façade de ce qui se montre, l'accès au sens serait une zone concrète. Cela ressemble à un petit orifice, une légère béance, une sorte de débouché arrondi. Puits creusé dans la dernière couche d'une profonde stratigraphie, composée et structurée, d'où il serait possible de tirer la langue qui légende le vu. L'information sensible viendraient d'au dessous, des strates enfouies, là où l'intelligibilité à son Siège. C'est la première étape. En exemple d'application de cette méthode, il convient de citer quelques cas...

Le plus simple est de suivre le cours de sa réflexion. Entrons dans son regard.Voyons avec ses yeux. Écoutons le raisonner.

- Si je regarde la pièce, rapidement, qu'est-ce qui attrape mon regard ? Elle est vaste, de forme carrée, les murs sont hauts. C'est à noter. Sa configuration générale, les matériaux employés pour la construction datent du XIXème siècle. Ça, je le sais. L'étude que j'ai faite des variations stylistiques du bâti français m'en fournit la documentation. Maçonnée par des techniques inventées autour de 1830, le style du salon est antérieur : il évoque le milieu du XVIIIème siècle. Un siècle jeune qui s'habille dans les atours du siècle précédant ? Quoi de plus normal si l'époque n'a pas encore eu le temps de se confectionner la parure qui lui est propre. Étrange, tout de même, pour un pays qui s'est dépouillé de sa défroque royaliste jusqu'à la mise à nue révolutionnaire, que de se vêtir dans des formes, non seulement désuettes, mais désavouées. Il y a un mystère dans ce déni historique. Politique, la Révolution n'aurait-elle pas eu d'ancrage dans l'Esprit ?

A tout cela, manque le détail.

Il est là. Sous l'évidence.

Une large corniche, sobrement moulurée, entièrement blanche de couleur, pose sa courbe légère devant l'encoignure que plafond et murs forment à leur jointement. L'arête est invisible.Voilà le premier indice sur lequel je puis tabler. Un angle droit existe, masqué par un élément de décor. Comme l'arbre qui cache la forêt, il faut faire un effort pour penser ce qui a été oblitéré derrière l'artifice (la politique?) de premier plan. A retenir.

Trois grandes fenêtres s'ouvrent sur l'extérieur. Elles donnent un jour naturellement lumineux à l'ensemble du volume. Un lustre en cristal permet de bien l'éclairer la nuit. Le luminaire est suspendu à un crochet de fer. Invisible, lui-aussi. Par son relief compliqué, une rosace en staff, fleurdelisée façon Louis XV, entoure et masque la tige de métal. Pour des raisons d'accommodation esthétique, là encore, quelque chose est occulté. Récurrence troublante. Second indice. Il confirme la piste.

D'autant que le regard, baissé vers le sol, rencontre une large plinthe.

La plinthe recouvre la jointure entre sol et murs. La planche de bois, clouée sur les parois, dissimule le bord du parquet. Comme la frise de stuc le fait en haut, la plinthe coure en bas tout autour du salon. Parallèles géométriques, ces lignes le sont aussi dans leur fonction: masquer quelque chose. "La plinthe" ? En français, ce mot possède un paronyme. Ses prononciation et sonorité induisent une double entrée lexicale. L'équivoque auditive "plinthe/plainte" est préoccupante. Inquiétante même. Car le cri silencieux emplit toute la pièce d'une horrifique angoisse.

Ces informations architecturales seraient-elles à la ressemblance d'un esprit ? Quel qu'il soit, je devrais en déduire qu'héritier du mouvement des Lumières, (le salon est fort bien éclairé), des zones d'intelligibilité seraient, pour lui, restées dans l'ombre. D'où l'insistance plaintive de ce qui, obstinément, demeure caché sous l'apparat.

A moins que...

Se pourrait-il que le contour politique et polémique d'une génération de penseurs
ait empêché d'apercevoir, sous l'excès de brillance, la simple et rigoureuse pensée d'un seul ? Les Lumières. Ce pluriel majuscule m'a toujours indisposé. Plusieurs Lumières, c'est peut-être beaucoup. Assurément trop, si le faisceau lumineux provient d'un seul foyer.

L'inconnu que je cherche à identifier, aurait-il montré,
trop sévèrement, la logique unidirectionnelle d'un paradigme souverain ?

Ce qui intrigue, c'est la forme léonine des quatre chimères de plâtre jaillissant de la rosace. Après vérification, j'ai remarqué que chacune d'entre elles marque un des points cardinaux. Ce détail implique un renseignement décisif. Certes, les arabesques submergent le crochet auquel le luminaire est suspendu. Elles floutent l'accroche d'où la lumière descend. Mais la rosace est aussi rose des vents.

A présent, j'en suis sûr. La pensée de cet homme est vraie, droite et juste. Elle est la pierre angulaire, le principe d'accroche et la table d'orientation des idées de son temps. Simplement,
des fioritures qui se donnaient pour des éclaircissements philosophico-politiques ont recouvert ses fonctionnalités. Conséquence: ici, s'entend la plainte de son âme.

Qui est-il ?

En bascule sur le XVIIIe et le XIXe siècles, en France ou en liaison avec la France, quelqu'un aurait formulé une pensée d'envergure. L'éclairage du domaine de l'esprit, qu'il y a deux siècles, cet auteur aurait proposé, ne serait toujours pas vu ou, pas compris pour ce qu'il est.

Cette entité souffrirait, aujourd'hui, de n'être pas honorée.

Cette hypothèse est-elle vérifiable ? Soyons méthodique.

Le mieux, pour commencer, est d'esquisser le portrait-robot de celui qui aurait été capable d'exprimer, avec rigueur, noblesse et hauteur de vue, l'enjeu ontologique de son temps. Profiler est une bonne tactique pour appréhender, dans la réalité, l'homme pourvu de cette exceptionnelle vocation. Si plusieurs prétendants sont concevables, il conviendra de discriminer avec un maximum de lucidité, les qualités et les faits, qui qualifient un seul d'entre eux. Celui-là sera le bon.

Préalable évident : le subodoré doit avoir vécu, de son vivant et sous ses yeux, les bouleversements de la France, à la fin du dix-huitième et au début du dix-neuvième siècles.

Une personne dont l'origine, l'éducation et les convictions garantiraient une intégrité morale et une indépendance de jugement suffisants pour que son témoignage soit recevable.

Un individu instruit, qui connaîtrait bien le mouvement universaliste des Lumières, qui aurait noté les prémisses de son exaltation dans les psychés, plus précisément dans celles des artistes et des faiseurs d'opinion et, qui aurait assisté au coup de tabac perpétré par les idées progressistes actionnant le bras armé de la Révolution.

Un être, en aucun cas religieux, bien au contraire, constitutivement métaphysique, qui aurait eu, spontanément, la faculté d'appréhender les modifications de son époque, en les liant aux mutations internes qu'il aurait ressenti en lui.

Un penseur analysant sa propre pensée et se découvrant conditionné, par ce qu'il pourrait appelé un Système, une Structure ou des Éléments, dont il surprendrait les agissements, aussi bien dans la Nature que dans son corps. Ainsi que dans les sécrétions du corps culturel.

Une singularité qui apprendrait, dans les livres autant qu'en lui-même, observant méditant et retraçant le cours de sa vie et, qui serait, en outre, douée d'un remarquable talent d'expression dans l'exercice de la rétrospection.

Enfin, si je n'omet aucune probabilité, quelqu'un qui aurait démontré, par et dans son œuvre, les capacités émotionnelles et intellectuelles nécessaires pour fixer dans l'étoffe du réel, le fil d'or de son destin.

A ma connaissance, une personne répond à l'ensemble de ces exigences:
William Wordsworth.

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